Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/239

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— « Vous oubliez que vous êtes mon guide aujourd’hui. Je ferai celle qui ne connaît rien de tous ces tableaux. Je verrai si nous avons les mêmes goûts. »

— « Mon Dieu ! » pensa René, « pourvu que je ne lui montre pas quelques toiles qui lui donnent une mauvaise opinion de moi ! … » Les femmes les plus médiocres excellent, pourvu qu’elles le veuillent, à mettre ainsi un homme qui leur est de tous points supérieur dans cette sensation d’infériorité. Mais déjà ils allaient, lui la conduisant auprès des chefs-d’œuvre qu’il supposait devoir lui plaire. Les grandes et les petites salles de ce cher musée, il les connaissait si bien ! Il n’y avait pas une de ces peintures à laquelle ne se rattachât le souvenir de quelque rêverie de sa jeunesse, tout entière passée à parer d’images de beauté la chapelle intime que nous portons tous en nous avant vingt ans, — pure chapelle que nos passions se chargent bien vite de transformer en un mauvais lieu ! Ces pâles, ces nobles fresques de Luini qui déploient leurs scènes pieuses dans l’étroite chambre, à droite du Salon Carré, qu’il était venu de fois prier devant elles, quand il souhaitait de donner à sa poésie le charme suave, la manière large et attendrissante du vieux maître lombard ! La sèche et puissante Mise en croix de Mantegna, dans