Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/246

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en une expression de sympathie ouverte qui rassurait la timidité de René. Cela, elle le sentait à la façon plus hardie dont il lui donnait le bras. Elle avait eu bien soin de choisir pour cette hypocrisie de sa fausse entorse une des salles les plus isolées qu’ils eussent traversées, celle des Lesueur. Ils suivirent ainsi, au bras l’un de l’autre, un petit couloir ; ils entrèrent dans une des galeries de l’école française, et ils arrivèrent dans un salon, à cette époque-là tout sombre et désert, celui où se trouvaient appendus les grands tableaux de Lebrun représentant les victoires d’Alexandre. La galerie des Ingres et des Delacroix, qui débouche aujourd’hui sur ce salon, n’était pas ouverte alors, et au milieu se trouvait un grand divan rond garni de velours vert. C’était un coin, à cette heure-là et au milieu de Paris, plus abandonné qu’une salle de musée de province, et où l’on pouvait causer indéfiniment sans autre témoin que le gardien qui s’occupait lui-même à bavarder avec son collègue de la pièce voisine. Suzanne avisa cette place d’un coup d’œil ; elle dit à René en lui montrant le canapé :

— « Voulez-vous que nous nous asseyions là un instant ? Je suis déjà mieux… »

Il y eut entre eux un nouveau passage de silence. Tout les enveloppait de solitude, depuis le bruit de la cour du Carrousel qui leur arrivait,