Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/247

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indistinct, par les deux hautes fenêtres, jusqu’à la demi-clarté de la salle. La détresse du jeune homme augmentait encore par ce tête-à-tête, qui aurait dû lui être un encouragement à se déclarer. Il se disait : « Qu’elle est jolie ! Qu’elle est fine ! … Et elle va s’en aller, et je ne la verrai plus. Je dois tant lui déplaire, je me sens paralysé près d’elle, incapable, de parler. » — « Jamais, » songeait Suzanne, « je n’aurai une meilleure occasion. »

— « Vous êtes triste, » reprit-elle tout haut, et le regardant avec des yeux où la coquetterie se déguisait en une sympathie affectueuse, presque celle d’une sœur : « Je l’ai bien vu dès mon arrivée, » continua-t-elle, « mais je ne suis pas assez votre amie pour que vous me disiez vos peines… »

— « Non, » fit René, « je ne suis pas triste. Comment le serais-je ? puisque je n’ai que des sujets de bonheur… »

Elle le regarda de nouveau avec une physionomie de surprise et d’interrogation qui signifiait : « Ces sujets de bonheur, dites-les-moi donc… » René crut lire cette demande en effet dans ces claires prunelles ; mais il n’osa pas comprendre. Il se jugeait, en toute sincérité de conscience, tellement inférieur à cette femme, que même découvrir, en entier, le culte qu’il lui avait déjà voué, lui paraissait au-dessus de ses forces.