Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/264

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dans les yeux ; elle ne trouva plus la force de lui reprocher cet égoïsme naïf qui avait tenu si peu de compte des déraisonnables susceptibilités de son imagination ; — il les connaissait pourtant si bien, — et elle lui répondit, tout bas, elle aussi, en lui montrant la porte entr’ouverte de la salle à manger :

— « Les dames Offarel sont là… »

Cette simple phrase suffit pour que la fièvre de René changeât soudain de caractère. Une appréhension angoissée lui succéda. Dans le plus doux moment de sa promenade au Louvre, ce matin, l’image de Rosalie avait eu le pouvoir de le faire souffrir, — quand il était auprès de Suzanne ! Et maintenant il lui fallait, sans préparation, revoir, en face, non plus cette image, mais la jeune fille elle-même, rencontrer ces yeux qu’il avait évités lâchement depuis des jours, subir cette pâleur dont il se savait la cause ! La sensation de sa perfidie lui revint, plus douloureuse, plus aiguë qu’elle n’avait jamais été. Il avait dit des mots d’amour à une autre femme, sans s’être délié de ses engagements envers celle qui se considérait à juste titre comme sa fiancée. Il entra dans la salle à manger comme il eût marché au supplice, et il ne fut pas plutôt en pleine clarté de la lampe qu’il sentit au regard de Rosalie qu’elle lisait dans son cœur, comme dans un livre ouvert. Elle