Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

était assise entre Fresneau et madame Offarel, travaillant comme d’habitude, les pieds posés sur une chaise vide où elle avait placé son peloton de laine et le chapeau de son père ; René comprit par quelle innocente ruse, afin qu’à son arrivée il fût obligé de se mettre auprès d’elle. Elle et sa mère tricotaient des mitaines longues, destinées à être portées au bureau par le vieil Offarel qui se prétendait maintenant menacé de la goutte aux poignets ! Ce père chimérique était là, lui aussi, buvant malgré ses craintes de malade imaginaire, un grog très fort, et jouant au piquet avec le professeur. C’était Émilie qui avait proposé cette partie pour éviter la conversation générale et se livrer toute à l’idée de son frère absent. Angélique Offarel l’avait aidée, de son côté, à débrouiller des écheveaux de soie. Cette scène d’humble intimité s’éclairait d’une douce lueur, et le poète y retrouva du coup le symbole de ce qui avait fait si longtemps son bonheur, de ce qu’il avait quitté pour toujours. Heureusement pour lui, la grosse voix du professeur s’éleva tout de suite et l’empêcha de se livrer à ses réflexions :

— « Hé bien ! » disait Fresneau, « tu peux te vanter d’avoir pour sœur une personne raisonnable ! Ne parlait-elle pas de passer la nuit à t’attendre ? Mais il aurait envoyé une dépêche… Mais il lui est arrivé un malheur ! … Pour un peu,