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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/274

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pas la force de seulement supporter l’idée de cette conversation. Il y a une forme déshonorante de la pitié qui apparaît dans des crises pareilles. Elle consiste à reculer devant la vue directe des souffrances que l’on cause. On veut bien torturer la femme que l’on abandonne. On ne veut pas regarder couler ses larmes. René pensa tout naturellement à s’épargner cette émotion insoutenable en écrivant, cette ressource des volontés lâches dans toutes les ruptures. Le papier souffre tout, dit le peuple. Il se leva pour commencer une lettre qu’il dut interrompre. Il ne trouvait pas ses mots. Pendant ces hésitations, l’heure approchait de la première visite du facteur. Quoiqu’il fût parfaitement insensé d’attendre par ce courrier la réponse de Suzanne, le cœur de l’amoureux battit plus vite lorsque Émilie entra dans sa chambre, apportant, comme d’habitude lorsqu’elle le savait réveillé, le journal et la correspondance. Ah ! S’il eût aperçu sur une des trois enveloppes que lui tendit sa sœur cette élégante et longue écriture, reconnaissable pour lui entre toutes les autres, quoiqu’il ne l’eût vue que sur un seul billet ! Mais non, ces enveloppes contenaient trois lettres d’affaires qu’il jeta de côté avec un énervement dont s’inquiéta cette pauvre sœur, et elle lui demanda :

— « Tu as un chagrin, mon René ? »