Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/284

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journée ? … Bah ! » ajouta-t-il finement, « je te ferais surveiller par Desforges… »

— « C’est encore heureux qu’il n’y ait eu personne ici pour entendre sa plaisanterie, » songea Suzanne, quand elle fut seule. « Il a la manie de dire de ces mots-là dans le monde ! … » Mais la lettre de René lui avait tant plu qu’elle oublia de se mettre en colère, comme elle faisait quand elle trouvait son mari par trop simple. Ces jolies et spirituelles scélérates ont de ces logiques : elles emploient leur plus fine adresse à vous passer un bandeau sur les yeux avec leurs blanches mains, puis elles vous reprochent de trébucher. Il ne leur suffit pas que vous soyez trompé, vous ne devez l’être que jusqu’à un certain point. Au delà, c’est trop, vous les gênez, et elles vous en veulent, — de bonne foi. Celle-ci se contenta de lever ses épaules avec une expression de douce pitié. Puis elle tira la lettre de la place où elle l’avait glissée, et elle la lut pour la troisième fois.

— « C’est vrai, » dit-elle tout haut, « qu’il ne ressemble pas aux autres… »

Et elle tomba dans une rêverie profonde qui lui montrait le jeune homme au Louvre, tel qu’il lui était apparu, sous le grand tableau de Véronèse, le visage penché à droite et guettant sa venue. Quand ses yeux l’avaient rencontrée, était-il ému ! Était-il jeune ! Plus tard, quand il