Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/288

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le chemin fait dans le monde, et les belles relations… »

— « Taisez-vous, » dit Suzanne, « vous êtes un affreux sceptique. » Et avec la finesse d’ironie par laquelle les femmes obligées de mentir se vengent parfois de celui qui les contraint à la ruse : « Ah ! On ne vous en fait pas accroire facilement, à vous ! … »

Le baron sourit à la flatterie de sa maîtresse. Si sa défiance eût été éveillée, cette phrase l’eût endormie. Les hommes les plus retors ont un point par où on les vaincra toujours : la vanité. Mais toute espèce de soupçon était bien loin de l’esprit de Desforges. Il était aussi facile à Suzanne de le tromper, qu’il l’avait été à René de tromper sa sœur. Ceux qui nous voient constamment sont les derniers à s’apercevoir des choses qui sauteraient aux yeux du premier étranger venu. C’est que l’étranger nous aborde sans idée toute faite, au lieu que nos amis de tous les jours se sont formé de nous une opinion qu’ils ne se donnent plus la peine de vérifier et de modifier. C’est ainsi que le baron ne remarqua point, ce jour-là, que son amie était dans une véritable crise d’agitation, durant sa visite qu’il prolongea plus que d’habitude. Il lui racontait toutes sortes de propos du club, tandis qu’elle allait et venait dans la chambre, sous un prétexte ou sous