Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/299

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revenaient, comme des raisons de croire davantage à sa sincérité, et il lui disait : « Que je suis heureux de vous avoir ici, et à ce moment ! … Ne craignez rien, nous sommes si seuls ! Ma sœur est sortie pour toute l’après-midi, et l’esclave… » — il appela Françoise de ce nom pour amuser Suzanne— « l’esclave est occupée là-bas… Et je vous ai ! … Voyez, c’est mon petit domaine à moi, cette chambre, l’asile où j’ai tant vécu ! Il n’y a pas un de ces recoins, pas un de ces objets qui ne pourrait vous raconter ce que j’ai souffert durant ces quelques jours… Mes pauvres livres… » — et il lui montrait la bibliothèque basse— « je ne les ouvrais plus. Mes chères gravures… je ne les regardais plus… Cette plume, avec laquelle je vous avais écrit, je ne la touchais plus… J’étais là, juste à la même place que vous, à compter les heures, indéfiniment… Dieu ! Quelle semaine j’ai passée ! … Mais qu’est-ce que cela fait, puisque vous êtes venue, puisque je peux vous contempler ? … Une peine que vous me laissez vous dire, ah ! c’est du bonheur encore ! … »

Elle l’écoutait, fermant à demi les yeux, abandonnée à la musique de ces paroles, sans que la volupté profonde qui l’envahissait l’empêchât de suivre son projet.— L’émotion du danger empêche-t-elle un adroit escrimeur de se rappeler