Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/309

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visite, le désordre mal réparé du lit, l’exaltation du regard de René, un de ces instincts aussi que les femmes les plus honnêtes possèdent à leur service dans ces occurrences-là, tout la conduisait à penser que madame Moraines avait été la maîtresse de René, là, chez eux ! Et la mère de famille, la bourgeoise pieuse, se révoltait contre cette pensée, en même temps qu’elle se souvenait des larmes amères aperçues sur les joues pâles de Rosalie. Songeant à la jeune fille dont elle avait pu mesurer la sincère tendresse, et à la grande dame inconnue pour laquelle sa naïveté avait si imprudemment pris parti, elle en venait à se demander :

— « Si René s’était trompé sur le compte de cette femme ? … »

Mais elle était sœur aussi, — une sœur complaisante jusqu’à la faiblesse, — et elle ne trouvait pas la force de faire la moindre observation à son frère, en le voyant si heureux. Elle avait trop nourri d’inquiétudes à constater le désespoir du jeune homme pendant la dernière semaine. Ce mélange de sentiments opposés l’empêcha de provoquer aucune confidence nouvelle, et, de son côté, la possession rendait René discret, comme il arrive quelquefois, par l’excès de l’amour où elle le jetait. Il ne pouvait plus parler de Suzanne maintenant. Ce qu’il éprouvait