Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/326

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et d’y mener une vie d’absolue décence. L’esclandre possible d’un procès où son nom eût été mêlé suffisait à écarter de son imagination tout projet de canaillerie violente. Elle poussait ce culte de la respectabilité à un tel point, qu’elle forgea elle-même, sur son locataire, et auprès du concierge, un mensonge compliqué. Suzanne et René devinrent un gentil ménage, demeurant toute l’année à la campagne et un peu parent du défunt Raulet. Ce fut elle aussi qui, avant toute demande, remit deux clefs au soi-disant Albert, afin d’empêcher les relations avec ce concierge, même les plus insignifiantes. Qu’importait à René la cause véritable de cette complaisance ? Les jeunes gens ont ce bon esprit de ne pas raisonner avec les faits commodes à leurs passions. Ils s’engagent ainsi sur des chemins périlleux, mais ils en cueillent, ils en respirent du moins toutes les fleurs. Quand celui-ci traversait Paris pour se rendre au petit appartement de la rue des Dames, une musique lui chantait dans le cœur, qui ne lui permettait pas d’entendre les voix attristantes du soupçon. Ses rendez-vous avaient lieu presque toujours le matin. René ne s’était jamais demandé non plus pourquoi ce moment de la journée était plus commode à Suzanne. En réalité, c’était l’heure où cette dernière était plus assurée d’échapper à la surveillance de Desforges.