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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/328

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perdre une seconde, une seule, de sa chère présence. Il la tiendrait, là, contre lui, la dévorant de ces silencieux baisers qui vont cherchant la fraîcheur de la peau et la mobilité des lèvres à travers la dentelle de la voilette. Et c’était presque aussitôt un emportement de désirs que Suzanne adorait, une frénésie de l’avoir à lui, qui le faisait la dévêtir avec des mains affolées et des caresses, — ah ! quelles caresses ! La grande séduction de la jeune femme et son habileté suprême consistaient à garder son innocente expression de vierge au milieu des pires désordres. Son pur visage semblait ignorer les complaisances du reste de sa personne, et grâce à cette idéalité de physionomie conservée à travers tout, elle avait pu se faire, sans déchoir, l’éducatrice amoureuse de René, comme découvrant avec lui le monde mystérieux de la vie des sens. Cette passion sensuelle formait l’arrière-fond sincère de ses rapports avec le jeune homme. Cette même passion était la cause de la fréquence de ces rendez-vous, auxquels la singulière créature apportait une âme entièrement heureuse, entièrement étrangère aussi à tout sentiment de remords. Elle appartenait, sans doute par l’hérédité, se trouvant la fille d’un homme d’État, à la grande race des êtres d’action dont le trait dominant est la faculté distributive, si l’on peut dire. Ces êtres-là ont