Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/345

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de mélancolie lorsque j’y serai. Va, mon amour, » ajouta-t-elle en le serrant dans ses bras, « aime-moi bien fort pour le temps où tu ne seras pas là à m’aimer ! … »

Le poète avait encore la tête remplie de cette voix, douce comme la plus douce musique, et l’âme troublée par ces baisers, plus grisants que la liqueur la plus grisante, lorsqu’il franchit vers les neuf heures du soir la porte de l’administration du Théâtre-Français, par laquelle on monte au célèbre foyer. Il jeta un coup d’œil sur la loge du concierge, en se souvenant que cette pièce avait été une des stations du calvaire de Claude. Autrefois, quand ils arrivaient ensemble au théâtre, ce dernier ne manquait guère de dire à son jeune ami en lui montrant le casier réservé aux lettres de Colette :

— « Si je les volais pourtant, je saurais peut-être la vérité. »

— « Quel bonheur, » songea René, « de ne pas connaître cette horrible maladie du soupçon ! … » Et il sourit en montant l’escalier qui tourne contre un mur tout garni de portraits d’acteurs et d’actrices du siècle dernier. Là, figé sur la toile, grimace le rictus des Scapins d’autrefois. Là, clignent des yeux les Célimènes mortes depuis des années et des années. Cette évocation de gaietés à jamais évanouies, d’amours à