Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/360

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la rencontre de Paul Moraines. Il avait lu Fanny, et il appréhendait à l’égal de la mort l’affreuse jalousie décrite dans ce beau roman. Un écrivain d’analyse, comme Claude, eût trouvé là un motif de rechercher cette rencontre avec le mari, afin de se procurer une plaie nouvelle du cœur sur laquelle braquer son microscope. Les poètes, chez qui la poésie n’a tourné ni à la corruption ni au cabotinage, possèdent un instinct qui leur fait éviter ces déshonorantes expériences. Ils respectent en eux-mêmes la beauté du sentiment. Tandis que la voiture roulait du côté du boulevard Bonne-Nouvelle, tout cet ensemble de motifs auquel René avait scrupuleusement cédé autrefois lui revint à l’esprit. Mais il avait été touché par les phrases de Colette plus profondément qu’il ne voulait, qu’il ne pouvait se l’avouer. Une vision de hideur avait passé devant ses yeux. Elle pourrait revenir, il le sentait sans se le formuler, et aussi que la présence de Suzanne était la plus sûre garantie contre ce retour. Les amoureux subissent de ces élans irraisonnés, effet dans leur cœur de l’instinct de conservation que nos sentiments possèdent, comme des êtres… La voiture roulait, et René plaidait la cause de sa désobéissance aux conventions arrêtées avec son amie sur l’emploi de sa soirée. « Mais si elle pouvait savoir ce que