Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/37

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Fresneau en tendant un bol rempli d’un tabac brunâtre qui s’échevelait autour d’un cahier de papier.

Claude eut un geste de dénégation, tout en s’inclinant pour saluer les trois autres dames, sans qu’aucune lui tendît la main. Elles travaillaient, la mère à un bas de laine bleue qu’elle tricotait en grattant par moments sa tête avec une des aiguilles, les deux demoiselles à un ouvrage de broderie appliqué sur de la toile cirée verte. Les cheveux de la mère étaient tout blancs, sa figure ridée et carrée ; à travers les lunettes qui se tenaient tant bien que mal sur son nez un peu court, ses yeux envoyèrent à l’arrivant un regard de profonde aversion. Une des deux filles, Angélique, réprima un sourire parce que l’écrivain, en s’asseyant entre Émilie et René, avait dit : « Je me mettrai ici… » et prononcé mettrai comme si l'e de ce mot eût été muet, — incorrigible défaut dès longtemps remarqué par la jeune personne. Elle appartenait, avec ses yeux noirs, à la fois futés et fugaces, avec ses rougeurs aussi faciles que ses rires, à la grande espèce des timides moqueuses. Quant à la seconde des deux sœurs, Rosalie, elle avait incliné la tête sans lever ses beaux yeux, aussi noirs que ceux de sa sœur, mais d’une expression douce et craintive. Quelques