Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/378

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rencontré Paul, qui avait dû se montrer ce qu’il était, exactement le contraire du portrait tracé par sa femme ! Celle-ci eut un mouvement de mauvaise humeur contre ce brave garçon qui avait commis la grande faute d’aller chez la comtesse le même jour que le poète, et elle lui dit, presque aigrement :

— « Je suis sûre que tu n’as pas écrit à Crucé pour l’Alençon… »

— « Hé bien ! J’ai écrit, » répondit Moraines d’un air de triomphe, « et tu l’auras. » Il s’agissait de vieilles dentelles, dont le collectionneur, espèce de courtier clandestin de toutes les élégances, avait parlé à Suzanne, et que cette dernière voulait se faire donner par son mari. De temps à autre, elle lui demandait ainsi quelque présent qu’elle pût montrer, et dont l’origine conjugale lui permît de dire à des amis bien choisis : « Paul est si gentil pour moi. Voyez le cadeau qu’il m’a encore fait l’autre jour… » Elle oubliait d’ajouter que l’argent de ce cadeau provenait d’ordinaire de Desforges, d’une manière indirecte, il est vrai. Quoique le baron ne s’occupât d’affaires que dans la mesure exigée par le sage gouvernement de sa fortune, il rencontrait souvent des occasions de spéculer avec une quasi-certitude, et il en faisait gracieusement profiter Moraines. C’est ainsi que récemment