Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/380

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pas te laisser me donner des conseils de ce genre. Je ne m’estimerais plus. »

Il avait été si sincère en lui parlant ainsi, que Suzanne n’avait pas osé insister. Cette délicatesse lui avait bien paru un peu ridicule. Mais s’il n’avait pas eu de ces naïvetés-là, ce côté « gobeur, » comme elle disait dans cet affreux patois parisien qui déshonore même le plus beau des sentiments : la confiance, lui aurait-il plu à ce degré ? C’est bien aussi cette jeunesse d’âme dont elle avait peur. Si jamais il était éclairé sur les dessous réels de sa vie, quelle révolte contre elle de ce cœur trop noble, trop incapable de pactiser avec l’honneur pour lui pardonner jamais ! Et l’éveil lui avait été donné. En songeant aux divers signes de danger constatés coup sur coup : la tristesse de René, sa colère contre Colette Rigaud, ses réticences, sa rentrée subite dans le monde, Suzanne se dit : « Ç’a été une faute de ne pas provoquer une explication tout de suite… » Aussi lorsqu’elle entra dans l’appartement de la rue des Dames à quelques jours de là, sa volonté était bien nette de ne pas commettre cette faute une seconde fois. Elle vit au premier regard que le jeune homme était plus troublé encore et plus sombre, mais elle ne fit pas semblant de remarquer ce trouble ni la froideur avec laquelle il reçut son baiser d’arrivée.