Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/381

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Elle eut seulement un sourire mélancolique pour dire :

— « Il faut que je te fasse un reproche, mon René ; pourquoi ne m’as-tu pas prévenue que tu irais faire une visite à la comtesse ? Je me serais arrangée de manière à t’éviter une rencontre qui a dû t’être bien pénible ? »

— « Pénible ? » répondit René avec une ironie que Suzanne ne lui connaissait pas, « mais M. Moraines a été charmant pour moi… »

— « Oui, » reprit-elle, « tu as fait sa conquête. Lui, si sarcastique d’habitude, il m’a parlé de toi avec un enthousiasme qui m’a fait mal… Est-ce qu’il ne t’a pas invité à venir à la maison ? … Tu peux être fier. C’est si rare qu’il fasse bon accueil à un visage nouveau… Mon pauvre René, » continua-t-elle en appuyant ses deux mains sur l’épaule de son amant, et posant sa tête, de profil, sur ces deux mains, « que tu as dû souffrir de cette amabilité ! »

— « Oui, j’ai bien souffert, » répondit René d’une voix sourde. Il regardait ce gracieux visage si près du sien. Il se rappelait ce qu’elle lui avait dit au Louvre devant le portrait de la maîtresse du Giorgione : « Mentir avec une physionomie si pure ! … » — Elle lui avait menti cependant. Et qui lui prouvait qu’elle ne lui eût pas menti toujours ? Il avait, en proie aux tourments de la