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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/384

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savoir de ce que tu fais, ne rien partager de ton existence, c’est trop cruel… Tais-toi, laisse-moi parler… Il y avait une grosse objection à ce que je fusse reçu chez toi, ton mari… Hé bien ! je l’ai vu. J’ai supporté de le voir. Nous nous sommes donné la main. Puisque c’est fait, permets-moi du moins d’avoir les bénéfices de cet effort… Je le sais, ce n’est pas fier, ce que je te dis là, mais je ne suis plus fier… Je t’aime… Je sens que je vais me mettre à nourrir sur toi des idées mauvaises… Je t’en supplie, permets-moi d’aller chez toi, de vivre dans ton monde, de te voir ailleurs qu’ici, où nous ne nous rencontrons que pour nous posséder… »

— « Pour nous aimer, » interrompit-elle en se séparant de lui, et secouant sa tête, « ne blasphème pas… » et, se laissant tomber sur une chaise : « Ah ! mon beau rêve, ce rêve que tu avais compris cependant, auquel tu semblais tenir comme moi, d’un amour à nous, rien qu’à nous, sans aucun de ces compromis qui te faisaient horreur comme ils me font horreur… c’en est donc fini ! … »

— « Ainsi tu ne veux pas me permettre d’aller chez toi comme je te le demande ? » insista René.

— « Mais c’est la mort de notre bonheur que tu veux de moi, » s’écria Suzanne ; « tel que je te connais, si délicat, si sensible, tu ne te supporteras