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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/383

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ces traits si fins remuait en lui une rêverie ! Ces prunelles d’un bleu frais et clair, combien il avait eu foi en elles ! Ce front d’une coupe si noble, de quelles pensées délicates il l’avait cru habité ! Cette bouche menue et sinueuse, avec quel tendre abandon il l’avait écoutée parler ! … Non, ce qu’avait raconté Colette n’était pas possible ! … Mais pourquoi ces mensonges, un premier, un second, un troisième ? … Oui, elle lui avait menti trois fois. Il n’y a pas de mensonges insignifiants. René le sentait, à cette minute, et que la confiance subit, comme l’amour, la grande loi du tout ou rien. Elle est ou elle n’est pas. Ceux qui ont dû la perdre le savent trop.

— « Mon pauvre René… » répéta la voix de Suzanne. Elle le voyait dans cet état d’extrême tristesse, où, d’être plaint, amollit le cœur, l’ouvre tout entier.

— « Oui, bien pauvre, » reprit le jeune homme qui venait d’être remué par cette marque de pitié reçue au moment où il en éprouvait le plus intime besoin, et, la regardant jusqu’au fond des yeux : « Écoute, Suzanne, j’aime mieux tout te dire. J’ai bien réfléchi. Cette vie que nous menons ensemble ne peut pas durer. J’en suis trop malheureux… Elle ne suffit pas à mon amour… Te voir ainsi, furtivement, une heure aujourd’hui, une heure après-demain et ne rien