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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/422

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ne se sentait pas la force d’employer ses facultés habituelles d’observation. La comédie de son malaise n’avait été qu’à moitié jouée, tant le coup subit de cet entretien avec René l’avait frappée d’épouvante et aussi de douleur. Elle avait pu craindre que le jeune homme, évidemment hors de lui, ne fît un éclat et ne la perdît à jamais. En même temps, sa passion très sincère, très vivante, avait saigné de ce terrible outrage et de cette découverte plus terrible encore. Tandis que, relevant sa robe à traîne, elle assurait sur les marches ses souliers de satin bleu, elle était secouée d’un frisson, comme il arrive au sortir d’un mortel danger que l’on a eu pourtant le courage de braver. Elle souriait à demi, avec des lèvres frémissantes dans un visage qu’envahissait la pâleur. Ce fut un véritable soulagement pour elle que de s’asseoir dans l’angle de son coupé où son mari prit place auprès d’elle. Devant lui, du moins, elle n’avait pas besoin de se dominer. Au moment où le cheval partit, elle se pencha, comme pour un dernier salut. La clarté d’un bec de gaz portait en plein sur le masque du baron qui exprimait maintenant sa vraie pensée. Suzanne ne s’y méprit pas une seconde :

— « Il sait tout… » dit-elle. « Que devenir ? … »

Le coupé avait disparu depuis un instant que