Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/423

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Desforges était encore là, qui tiraillait sa moustache, — signe chez lui d’une préoccupation extrême. Comme il faisait beau, il n’avait pas commandé sa voiture. C’était son habitude, par les temps secs, de marcher jusqu’à son cercle favori, rue Boissy-d’Anglas, depuis l’endroit où il avait passé la soirée, même quand cet endroit était un petit théâtre situé à l’autre extrémité des boulevards. Tout en fumant son cigare, le troisième de la journée, — le docteur Noirot n’en permettait pas davantage, — il aimait à traverser Paris, son Paris qu’il se piquait avec raison de connaître et de goûter comme personne. Ce n’était pas un cosmopolite que Desforges, il avait en horreur les voyages, ce qu’il appelait « la vie de colis. » Cette promenade à pied le soir, c’était son délice. Il en profitait pour « faire sa caisse, » — c’était un de ses mots, — pour repasser en esprit les divers incidents de la journée, et mettre en parallèle ses recettes d’un côté, ses dépenses de l’autre : « Avoir fait du massage, de l’escrime, du cheval le matin… » Colonne des recettes, c’était emmagasiner de la santé. « Avoir bu du bourgogne à dîner, ou du porto rouge, son péché mignon, ou mangé des truffes, ou aimé Suzanne… » Colonne des dépenses… Quand il s’était permis un petit excès contraire aux règles très réfléchies de sa conduite, il pesait avec soin le pour et le