Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/436

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mouvement de reconnaissance, — d’autant plus sincère que cette délicatesse lui permettait de ne plus penser qu’à René. Ç’avait été là un comble d’anxiété durant son insomnie de la nuit : comment ménager l’un en gardant l’autre, maintenant que les deux hommes s’étaient vus, s’étaient pénétrés ? Rompre avec le baron ? Elle y avait pensé, mais comment faire ? Elle se trouvait prise au piège des mensonges qu’elle faisait à son mari depuis plusieurs années. Leur train de vie ne pouvait se soutenir sans le secours de son amant riche. Briser avec lui, c’était se condamner tout de suite à chercher une relation du même genre, ou bien à tomber plus bas encore, dans cette prostitution payée comptant, chez les procureuses, que la chronique attribuait à telle ou telle femme de sa connaissance. D’un autre côté, garder Desforges, c’était rompre avec René. Jamais le baron ne comprendrait qu’en aimant le poète elle ne lui volait rien. Est-ce que les hommes admettent jamais de pareilles vérités ? Et voici que celui-là était assez spirituel, assez bon, pour ne pas même lui parler de ce qu’il avait pu remarquer. Jamais, en payant pour elle les notes les plus lourdes, il ne lui avait paru aussi généreux qu’à cette minute où il lui permettait, par son attitude, de se livrer tout entière au soin de reconquérir son jeune amant, des baisers duquel elle ne pouvait, elle ne voulait pas se passer.