Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/476

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personne, dans la famille Vincy, n’avait quitté Paris, même pour vingt-quatre heures. Il n’y avait, rue Coëtlogon, comme instruments d’emballage, que deux vieux coffres mangés aux vers, et trois valises de cuir délabrées de vétusté. Ces soins matériels, qui donnaient comme une réalité concrète aux chimères du jeune homme, trompèrent la fièvre de son attente jusqu’à l’heure du rendez-vous. L’hallucination du désir avait été si forte que la vue des circonstances réelles ne se produisit en lui qu’au moment où il entra dans le petit salon de la rue Murillo. Tout restait à faire.

— « Madame va venir… » avait dit le domestique, en le laissant seul dans cette pièce. Il n’y était pas revenu depuis le jour où il lisait ses vers les plus choisis à celle qu’il considérait alors comme une madone. Était-ce, de la part de cette dernière, une suprême ruse que ces cinq minutes d’abandon, avant leur entretien, dans cet endroit, si rempli pour lui de souvenirs ? Ils se dressèrent en effet devant lui, ces souvenirs, mais pour le remuer d’une tout autre émotion que celle dont se flattait Suzanne. Ce cadre d’élégance, tant admiré jadis, lui faisait horreur maintenant. Il lui semblait qu’une vapeur d’infamie flottait autour de ces objets, dont beaucoup avaient dû être payés par Desforges. Cette