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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/475

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rangeait des papiers, classait des livres, mettait à part des gravures.

— « Que fais-tu là ? … » demanda-t-elle.

— « Tu vois, » répondit-il, « je me dispose à partir. »

— « À partir ? … »

— « Oui, » reprit-il, « je compte aller en Italie. »

— « Et quand cela ? » fit Émilie stupéfaite.

— « Mais sans doute après-demain. »

Il était de bonne foi dans sa réponse. Il avait calculé qu’il faudrait à Suzanne environ vingt-quatre heures pour ses préparatifs à elle, si elle se décidait. Si elle se décidait ? Ce seul doute sur l’issue de sa démarche lui faisait maintenant tant de mal qu’il ne le discutait même pas. Depuis la scène de l’Opéra, où il l’avait laissée pâle et comme foudroyée dans l’ombre de l’arrière-loge, il s’était imposé la plus surhumaine contrainte, en endiguant le flot de ses désirs passionnés. Son espérance soudaine était comme une brèche ouverte, par laquelle ce flot se précipitait, furieux, effréné, d’un jet si violent qu’il renversait, emportait tout. Sa folie alla, par cette matinée qui précéda l’entrevue, jusqu’à passer chez deux ou trois marchands d’objets de voyage de l’avenue de l’Opéra, pour y examiner des malles. Depuis le départ de Vouziers,