Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/507

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— « Vous êtes un juste, monsieur l’abbé, c’est encore là le plus beau talent et le plus sûr ! … »

— « Il sauvera René… » songeait-il après avoir vu la soutane du grand Chrétien disparaître derrière la porte du collège, qu’il avait si souvent franchie lui-même autrefois, dans les années mauvaises. Sa rêverie devint alors singulièrement sérieuse et mélancolique. Il marchait, presque machinalement, du côté de sa maison de la rue de Varenne, où il n’avait pas reparu depuis ces quelques jours, et il laissait son esprit flotter autour des idées que la conversation, et plus encore la seule existence du prêtre, avaient éveillées en lui. C’en était fini de la félicité physique éprouvée deux heures auparavant sur le balcon de Colette. Toutes les misères de la vie sans dignité qu’il menait depuis deux ans refluaient à la fois dans sa mémoire, rendues plus misérables par la comparaison avec les magnificences cachées de la vie du devoir dont il venait de contempler un exemplaire accompli. Cette impression amère du mépris de soi augmenta, quand il se retrouva, dans son appartement, rempli du souvenir de tant d’heures coupables et douloureuses. Vingt images se présentèrent dans lesquelles se résumait tout le drame dont il avait été un des acteurs : René lui lisant le manuscrit