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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/58

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Sommes-nous assez bêtes tout de même d’être ici, dans cette voiture, deux hommes à peu près intelligents, qui avons du travail chez nous, et vous avec un frémissement dans le cœur, à l’idée d’aller vous mêler à de grandes dames ou soi-disant telles, et moi ! … »

— « Que vous a fait Colette aujourd’hui ? » interrogea doucement René, que l’âpreté de la parole de son ami avait froissé comme il arrivait souvent ; mais comment lui en aurait-il voulu de cette sorte d’hostilité contre ses illusions que Claude lui montrait ainsi ? Presque toujours ces furieuses déclamations avaient pour cause, il le savait, une coquetterie de cette actrice dont le malheureux était follement épris, et qui se jouait de lui, tout en l’aimant elle-même, à sa manière. C’était une de ces passions à base de haine et de sensualité, qui dépravent le cœur en le torturant, et transforment celui qui les éprouve en une bête féroce. Un des traits particuliers à ces sortes d’amours, c’est qu’ils procèdent par crises aiguës et violentes, comme les images physiques dont ils se repaissent. Claude venait sans doute de voir tout d’un coup, dans un éclair, la physionomie de sa maîtresse, et une rage soudaine contre elle avait succédé en lui à la bonne humeur de sa visite chez les Fresneau, — rage qu’il aurait satisfaite en ce moment par n’importe quelle