Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/60

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Il est dans sa loge autant que moi. Il la regarde avec ses yeux de buveur de wisky. C’est lui qui a inventé d’aller, après l’Opéra, en compagnie, boire de cet ignoble alcool dans un bar infect de la rue Lafayette ; je vous y mènerai, vous jugerez le pèlerin… Et Colette s’y laisse conduire, et Colette va en coupé avec lui…— Ah çà ! me dit-elle, vous n’allez pas en être jaloux, de celui-là ? D’abord il sent le gin…— Elles vous disent cela, ces femelles, elles vous salissent jusque dans sa vie physique celui avec qui elles ont couché hier… Bref, ce matin, j’étais chez elle. Que voulez-vous ? Je savais tout cela et je n’y croyais pas. Un Salvaney ! Si vous le voyiez, vous comprendriez que ce n’est, en effet, pas croyable, et elle, vous la connaissez, avec ses beaux yeux tendres, sa beauté si fine, sa bouche à la Botticelli… Ah ! quelle pitié ! … Oui, j’étais chez elle… On apporte une lettre. Le domestique, un nouveau venu et très mal stylé, dit stupidement : — C’est de M. Salvaney, on attend la réponse…— Elle venait de me jurer, entre deux baisers, qu’il ne s’était rien passé entre eux, rien, pas même une ombre d’ombre de cour. Elle tenait la lettre à la main. Je me dis, oui, j’eus la niaiserie de me dire : Elle va me tendre la lettre et j’y trouverai la preuve écrite qu’elle ne m’a pas menti, une preuve certaine, puisque Salvaney ne pouvait pas savoir