Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/61

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que je verrais cette lettre. Elle tenait la lettre et elle me regardait.— C’est bien, fit-elle, je vais répondre. Vous permettez ? ajouta-t-elle, et elle passa dans l’autre chambre… avec sa lettre ! Vous croyez sans doute que j’ai pris mon chapeau et ma canne, et que je suis parti pour ne plus revenir, en me disant : Voilà une grande coquine ! … Je suis resté, mon cher ami ; elle est revenue, elle a sonné, rendu la réponse au domestique, puis elle s’est avancée vers moi : Vous êtes fâché ? m’a-t-elle dit.— Un silence.— Vous avez eu envie de lire cette lettre ? — Un silence encore.— Non, continua-t-elle en fronçant ses jolis sourcils, vous ne la lirez pas, je l’ai brûlée. Elle ne contenait rien que la demande d’un échantillon d’étoffe pour un déguisement de bal, mais je veux que vous me croyiez sur parole…— Et ce fut dit, ce fut joué ! … Elle n’a jamais eu plus de talent. Ce que je lui ai répondu, ne me le demandez pas. Je l’ai traitée comme la dernière des dernières. Tout ce que j’ai dans le cœur pour elle de rancunes, de dégoûts et de mépris, je le lui ai craché à la figure, et puis, comme elle pleurait, je l’ai prise dans mes bras et je l’ai possédée, là, sur le canapé de ce fumoir où elle venait de me mentir ainsi et moi de l’insulter comme une fille… Suis-je assez bas ? … »