Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/92

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Tout en elle donnait la sensation de quelque chose de distingué, presque de trop joli, depuis la délicatesse de ses traits jusqu’à la finesse de sa taille et la minceur de ses poignets. Ses mains semblaient fragiles, tant les doigts en étaient fuselés et comme transparents. Le défaut de ces sortes de beautés réside dans ce qui fait leur charme même. Excessive, la délicatesse se change en morbidesse et la grâce trop fine en maniérisme. Chez madame Moraines, une étude plus attentive découvrait que l’être de grâce enveloppait un être de force, et que cette exquise sveltesse cachait une femme bien vivante, dont la santé se révélait à toutes sortes de signes. Cette jolie tête reposait sur une nuque énergique, où l’or pâle des cheveux se bouclait en mèches drues et serrées. Aucune maigreur ne déshonorait ses épaules pleines. Quand elle souriait, elle montrait des dents aiguës et blanches, et la manière dont elle faisait honneur au souper, témoignait que son estomac avait résisté sans peine aux innombrables causes de fatigue qui pèsent sur les femmes à la mode, depuis la pression du corset jusqu’aux épuisantes veillées, sans parler des quotidiens dîners en ville. Les yeux de madame Moraines, d’un bleu pâle et doux, devaient rappeler à un songeur le souvenir d’Ophélie et de Desdémone ; mais ils nageaient