Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/93

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dans cette espèce d’humide radical où les naïfs observateurs d’autrefois voyaient le signe de la vie profonde, et la fraîcheur des paupières attestait les sommeils heureux où le tempérament se répare tout entier, comme l’éclat du teint démontrait un sang riche et rebelle à toute anémie. Pour un médecin philosophe, le contraste entre le charme presque idéal de cette physionomie et l’évident matérialisme de cette physiologie, devait fournir prétexte à des réflexions de défiance. Mais le jeune homme qui considérait à la dérobée la jeune femme, tout en déchiquetant du bout de sa fourchette un morceau de chaufroid posé devant lui, était un poète, c’est-à-dire le contraire d’un médecin et d’un philosophe. Au lieu d’analyser, il se mit à jouir avec délice de ce voisinage. Sans qu’il s’en doutât, il avait, durant cette soirée, subi un ensorcellement de sensualité qui se résumait, pour ainsi dire, dans cette femme de tous points désirable, autour de laquelle flottait un subtil et pénétrant arome. En fidèle disciple des maîtres de Parnasse, il avait eu, pendant une époque de son adolescence, l’enfantine manie des parfums, et il aspira longuement cette fine, cette tiède odeur ; il reconnut l’héliotrope blanc, et il se souvint d’avoir un jour, en proie à la nostalgie des tendresses raffinées, écrit une fantaisie rimée où se trouvaient ces deux vers :