Page:Bourget - Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1886.djvu/115

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réel, avec son être enfin dans ce qu’il a de plus intime et de plus vrai. Mais cet être tient à son milieu par d’invisibles racines, comme une plante au coin de sol dont elle absorbe la sève. Donc, en se transcrivant dans son œuvre, l’artiste se trouve avoir du coup transcrit quelque chose de ce milieu, une portion de cette grande âme contemporaine dont il est une des pensées, un peu du vaste cœur de sa génération dont les battements retentissent en lui. Il résulte de là que, si la poésie d’un poète se trouvait absolument en dehors de toute date et de toute époque, elle serait une œuvre de mort, simple curiosité d’école, bonne à divertir des scoliastes, mais incapable de servir de pâture vivante à des hommes vivants.

Ceux qui n’ont pas reconnu chez M. Leconte de Lisle cette puissance de vie, personnelle à la fois et contemporaine, se sont laissés, me semble-t-il, abuser pas une erreur d’analyse qu’il importe de définir avec netteté, non pas seulement pour éclairer d’un jour complet la figure de l’auteur des Poèmes barbares, mais surtout pour mieux étudier un problème d’esthétique générale qui se pose devant beaucoup d’artistes de nos jours et les obsède d’une préoccupation incessante. Je