Page:Bourget - Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1886.djvu/120

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les Fleurs du Mal, tout simplement parce que l’idée de l’amour traduite dans ces vers morbides est aussi profondément essentielle à notre temps que l’élégance d’un duc de Morny et le libertinage analytique d’un Baudelaire. Ce n’est donc ni dans le décor ni dans la date du sujet qu’il convient de chercher le caractère de modernité d’une œuvre, et, si l’on se met au point de vue de l’esprit, ce n’est pas non plus dans la méthode employée. On dit souvent que notre époque est scientifique, et beaucoup d’excellents artistes ont essayé en effet d’appliquer aux travaux de l’imagination les méthodes de la science. Ceux-là ont réussi à trouver ainsi un art d’une singulière nouveauté ; mais à côté d’eux il y a place pour ceux dont l’intelligence a, comme pôle naturel, non pas l’analyse, mais le rêve. Ce dernier n’est-il pas un Fait, lui aussi, et à ce titre n’est-il pas légitime — autant que la vie ? Que dis-je ! Pour certaines têtes il est la vie elle-même, et c’est la vie qui est un mauvais songe. Tel fut le cas de Flaubert, que son instinct poussait à composer des fresques de légende comme sa Tentation de saint Antoine, et qui s’astreignait, par doctrine, à la copie du quotidien des choses. Tels sont aujourd’hui MM. Gustave Moreau et