Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/199

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Une forme masculine s’approchait, qui nous dépassa sans prendre garde à nous. C’était un paysan quelconque et qui chantonnait une phrase musicale de la Cavalleria rusticana, la plus populaire et la moins heureuse : « Viva il vino spumeggiante… » Comme la voix s’éloignait, ma compagne me prit la main, qu’elle mit sur son cœur, pour m’en faire sentir les battements, avec une familiarité où je ne pensai pas à reconnaître un signe de son métier de galanterie. Ce cœur sautait à lui rompre la poitrine, et j’essayai de la calmer. — « Il ne viendra pas, ni lui, ni personne. Mais vous n’avez pas besoin de rien m’expliquer. Dites-moi seulement ce que vous désirez, et je le ferai. Je vous dois une réparation, d’abord… » — « Aucune, » fit-elle vivement, « mais merci d’avoir un peu de pitié pour moi… J’en mérite beaucoup, je vous assure, quoique je ne me plaigne pas souvent. Il faudrait dire ce que presque personne ne sait, ce que Vernantes n’a pas su, ce que vous ne sauriez pas, si le hasard ne vous avait pas amené ici… Le hasard ? Non, peut-être quelque chose d’autre… Je suis horriblement