Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/236

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allemand, édifiant les passagers par sa tenue, présidant à quelque fête de charité en faveur des pauvres matelots ; puis à New-York, effarée et divertie par le tumulte des rues ; puis à Jacksonville, s’embarquant sur un autre bateau en partance pour ces mystérieuses Bahamas, dont j’entendais parler chaque jour quand je voyageais en Floride ; et le paysage semi-tropical que j’ai tant aimé s’évoquait devant ma rêverie : une mer trop bleue entre des cocotiers colossaux chargés de fruits gros comme des têtes d’enfant, des chèvrefeuilles plus hauts que des hommes, un monstrueux entrelacement de lianes autour des chênes verts, des champs d’ananas exhalant sous le soleil un arôme enivrant, des vallées entières de cannes à sucre, et sur la terrasse en bois - la piazza - c’est le mot là-bas - d’une maison cachée parmi la poussée des gigantesques végétations, Blanche dans un hamac, en train de se souvenir et de regretter peut-être son enfer dans son paradis. Elle avait si bien dit : « J’aime la vie, j’aime ma vie ! » Et c’est vrai qu’il y a un tel attrait pour les nerfs dans les sensations puissamment contrastées où elle s’était meurtrie