Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/289

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tout à l’heure crispée jusqu’à la dureté, parut se détendre dans une rêverie, comme si au lieu des quarante ans bien passés dont son masque portait l’empreinte, il eût eu et son âge et son âme d’autrefois, quand il venait, à la même date, rendre visite à la même chapelle, attendri sans amertume, ému sans rancœurs, n’ayant pas subi encore la cruelle épreuve dont la tristesse habituelle de sa physionomie disait les ravages : — la trahison de sa femme avec son meilleur ami. S’il était venu, cette année-ci, prier dans sa chapelle de famille le 3 novembre, au lieu d’y venir le 1 ou le 2, c’est que cet ami, mort onze mois auparavant, était enterré dans ce même cimetière. Michel avait appréhendé, comme une douleur au-dessus de ses forces, la rencontre de celle qui avait porté son nom et qui était maintenant la veuve de l’autre… Cette rencontre n’avait pas eu lieu. Il ne savait pas où était la tombe de cet autre, et cet homme malheureux oubliait un instant l’âcreté de ses émotions devant la douceur automnale de ce paysage associé si longtemps aux plus pures piétés de son enfance et de sa jeunesse… Cette espèce d’apaisement dans la contemplation