Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/44

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à ce que San Giobbe avait dit d’elle, de sa nature si intacte, si rebelle à la contagion du luxe et de la coquetterie. L’officier avait, pour lui parler, cette espèce de gaucherie, attendrissante chez un homme de cet âge et de cette tournure, car elle annonce une si noble nuance de sentiment : le respect dans la passion. La jeune fille était de son côté visiblement toute troublée, toute frémissante. Cette émotion se devinait à vingt petits signes, à l’agitation de ses mains, qui cueillaient ici une feuille d’arbre, là un crocus, puis les laissaient tomber ; à son pas, qui se hâtait tour à tour et se ralentissait, puis s’arrêtait ; au tremblement de sa voix, qui s’étouffait par instants. Ses paupières, bordées de cils qui bouclaient à leur pointe, tant ils étaient longs, palpitaient sur ses yeux, si pareils, avec leur flamme noire, aux yeux de son père. Elle avait du rose à ses joues, d’ordinaire toutes pâles, et c’étaient sans cesse entre eux, depuis le commencement de cette promenade, — incident si vulgaire de vie de château, mais qu’ils sentaient l’un et l’autre si solennel ! — des silences où ils auraient pu entendre leurs deux cœurs battre bien fort. Et sans