Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cesse aussi c’étaient des reprises d’une conversation émue et insignifiante, comme s’ils eussent eu peur, l’un et l’autre, de se taire à la fois et de penser tout haut. Pourtant Béatrice ne disait pas une parole qui ne fût, pour Gabriel, un ravissement, et il ne répondait pas un mot dont elle ne s’enchantât. C’est que deux amoureux, et qui s’aiment sans se l’être jamais déclaré, trouvent un inexprimable délice à échanger de menues observations sur de tout humbles détails de la vie. L’accord de leurs goûts réciproques leur est un prélude à l’accord de leurs cœurs, une preuve qu’ils sont faits l’un pour l’autre, une promesse que l’existence en commun sera pour eux une longue et riche harmonie de sentiments partagés. Le plus tendre des poètes contemporains a célébré ces intelligences « promptes et furtives des cœurs ». Il est bien probable que ni Béatrice Nortier, l’héritière du spéculateur trente fois millionnaire, ni Gabriel Clamand, le capitaine de chasseurs, n’avaient lu ces adorables vers sur « le meilleur moment des amours ". Ils faisaient mieux, ils en sentaient, ils en vivaient la poésie, sous les branches rousses, parmi la jonchée