Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/148

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si l’on menaçait d’un duel quelqu’un qui s’est décidé au suicide. »

— « Mais crois-tu qu’il a raison, quand il prête ces odieux calculs à Marsh ? » demanda Mme Brion pour arrêter l’accès de révolte qui grondait sourdement dans cette voix, ces yeux, ces gestes.

— « C’est bien possible, » dit la baronne, « Marsh est un Américain, et pour ces gens-là un sentiment est un fait comme un autre, qu’il s’agit d’exploiter et du mieux qu’on peut. Mais admettons qu’il spécule sur le sentiment de Flossie pour un savant et un inventeur, cette spéculation de l’oncle prouve-t-elle que le sentiment de la nièce n’est pas sincère ? … Pauvre Flossie ! » conclut-elle, avec un accent où passait de nouveau l’écho de la tourmente intérieure.« J’espère qu’elle ne se laissera pas séparer de celui qu’elle aime : elle souffrirait trop ; et, s’il faut l’aider à le garder, je l’y aiderai… »

Quel trouble encore trahissaient ces deux cris successifs ! Quel reste d’incertitude dans la sage résolution prise en commun ! La fidèle amie en demeura épouvantée. L’idée qu’elle avait eue la nuit précédente, puis repoussée comme trop difficile à réaliser, cette idée de s’adresser directement à la magnanimité du jeune homme, la ressaisit, avec une force extrême. Cette fois, elle y donna un libre cours ; et le lendemain matin, un commissionnaire pris à la gare remettait à l’hôtel des Palmes la lettre suivante que Pierre Hautefeuille ouvrit et lut, au moment où il venait