Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/150

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pas une femme de grand cœur, qui a d’autant plus de droits à votre respect scrupuleux qu’elle s’est moins défiée de vous. Ayez donc le courage de faire la seule action qui puisse empêcher les calomnies de naître, si elles ne sont pas nées, qui puisse les détruire si elles sont nées. Quittez Cannes, monsieur, pendant quelques semaines. Un jour viendra où vous éprouverez une joie intime à vous dire que vous avez fait votre devoir, tout votre devoir, et que vous avez donné à une créature d’élite la seule preuve de dévouement qu’il vous soit permis de lui offrir : le respect de son repos et de son honneur. »

Il y a dans le célèbre roman de Daniel de Foë, ce prodigieux raccourci de toutes les profondes émotions humaines, une page célèbre et qui demeure le symbole de l’épouvante dont nous bouleversent certaines révélations absolument, tragiquement inattendues… C’est celle où le Solitaire tressaille jusqu’à l’être de son être, en apercevant, sur le sable de l’île déserte, l’empreinte fraîche d’un pied nu. Un même tremblement convulsif secoua Pierre Hautefeuille à la lecture de cette lettre : il tenait la preuve, après ces vingt-quatre heures d’incertitude, l’indiscutable, la foudroyante preuve que son action de l’avant-veille avait été vue… Par qui ? … Mais qu’importait le nom de ce témoin, du moment que Mme de Carlsberg était avertie ? Le secret instinct du jeune homme ne l’avait pas trompé. La baronne le faisait venir pour lui reprocher son indiscrétion, peut-être