Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/159

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familièrement, un passage de réelle fureur décomposa son visage. Un éclair lui jaillit des yeux, tandis qu’il enveloppait du regard ce groupe d’abord, puis l’autre. S’il eût été le maître en ce moment, il les eût tous mis aux fers : sa femme, la cause certaine de cette trahison ; Mme Brion et Mme Bonaccorsi, parce que Mme de Carlsberg les aimait ; Mme de Chésy et Hautefeuille, parce qu’ils étaient là, témoins complaisants de ce tête-à-tête. De sa voix impérieuse et qu’il gouvernait à peine, il appela, d’une extrémité à l’autre de la pièce :

— « Monsieur Verdier ! »

Verdier se retourna. Le saisissement que lui causait la présence imprévue du prince, l’humiliation d’être interpellé ainsi devant la femme qu’il aimait, l’impatience d’un joug longtemps supporté, que d’émotions complexes frémissaient dans l’accent avec lequel il répondit ;

— « Monseigneur ? … »

— « J’ai besoin de vous au laboratoire, » reprit l’archiduc : « veuillez venir, et tout de suite. »

À leur tour, les yeux du préparateur lancèrent un éclair de fureur. Pendant quelques secondes, les spectateurs de cette odieuse scène virent sur cette figure d’un homme supérieur, traité indignement, un combat tragique se livrer entre l’orgueil et la reconnaissance. L’archiduc avait été particulièrement bon pour le jeune homme. C’était lui qui à seize ans l’avait distingué, l’avait fait partir à Paris, entrer à l’École normale… enfin il avait rendu à toute sa famille de ces services