Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/245

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entre l’âcreté de ce vent du Nord et le souffle parfumé de la brise d’hier, quel contraste ! … Mais qui songeait à s’en apercevoir ? Ce n’était pas Florence Marsh, heureuse malgré tout du scalp archaïque qu’elle allait emporter à bord. Ce n’était pas Andriana, à qui la perspective d’une nuit passée à terre promettait une trop douce certitude : elle avait un rendez-vous avec son mari comme avec un amant, et, Corancez ne s’y était pas trompé, le piquant de ce rendez-vous clandestin et légitime après un mariage de roman, achevait d’affoler cette femme amoureuse qui, pour la première fois depuis des années, avait totalement oublié son redoutable frère. Ce n’étaient pas Hautefeuille et sa maîtresse, qui avaient aussi ces longues heures de nuit à passer ensemble. Aussi le jeune homme, resté en arrière avec Ely de Carlsberg, lui disait gaiement et tendrement, comme ils marchaient vers la chaloupe de la Jenny, dont le pavillon, blanc, noir et rouge, claquait sous la bise :

— « Je commence à croire que ce charmant Corancez a raison, avec sa ligne de chance ! … Et il paraît que c’est contagieux… »

À cet instant même, et comme Ely répondait par un sourire de langueur et de promesse, un des matelots debout sur le quai auprès de la barque tendait à miss Marsh un grand portefeuille. C’était le courrier du bord, qu’il était allé chercher à la poste, et la jeune Américaine commença le tri de ces quinze à vingt lettres :