Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

joue rose, la bouche souriante, les yeux emplis d’une flamme heureuse dont s’illuminait son visage. Entre la vingt-cinquième et la trente-cinquième année, dans cette période d’énergie à la fois mûrie et inentamée, les plus modestes, les plus timides ont de ces heures où l’orgueil de vivre semble déborder de leurs moindres gestes. C’est le signe qu’ils aiment, qu’ils sont aimés, que toutes choses autour d’eux conspirent à favoriser cet amour, et cette sensation, qu’aucun obstacle ne se dresse devant leur désir, les soulève tout entiers. L’être physique, chez eux, en est lui-même comme exalté, comme transfiguré. Ils ont une autre démarche, un autre port de tête, un regard autre. On dirait qu’un rayonnement magnétique émane de ces amoureux comblés et les revêt d’une beauté momentanée à laquelle les femmes ne se trompent pas. Elles reconnaissent bien vite cet « air aimé », pour le haïr ou s’en attendrir, suivant qu’elles sont elles-mêmes envieuses ou indulgentes, prosaïques ou romanesques. Ce dernier cas était celui des deux personnes en face desquelles Hautefèuille se rencontra sur le petit trottoir central qui sert de quai d’attente à la gare de Cannes. L’une était Yvonne de Chésy, accompagnée de son mari et d’Horace Brion, l’autre, la marquise Bonaccorsi, — comme elle continuait de s’appeler officiellement, — escortée de son frère Navagero. Pour s’approcher d’elles et les saluer, le jeune homme dut fondre la foule élégante, amassée là, comme chaque jour à