Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/256

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encore, vue ainsi dans son milieu originel, entre son père, le plus compassé des avoués, et sa mère, une véritable douairière de la haute bourgeoisie Parisienne. C’est qu’alors les portions romanesques de son âme sommeillaient chez le jeune homme. L’enivrement de son amour les avait réveillés aujourd’hui, et il était devenu sensible à des nuances féminines qui lui échappaient jadis. Mais, trop peu habitué à lire en lui-même pour reconnaître combien ces dernières semaines avaient modifié sa propre pensée, il expliqua la sensation de déplaisir subie auprès de Berthe Du Prat par cette simple raison, qui nous aide à justifier toutes nos ignorances du caractère d’autrui :

— « Qu’y a-t-il de changé en elle ? … Je l’ai connue charmante au moment de son mariage. Maintenant c’est une autre personne. Olivier aussi a changé. Il était tendre, amoureux, gai. Il parait indifférent, presque triste. Que se passe-t-il ? Est-ce qu’il ne serait pas heureux ? »

La voiture s’arrêtait devant l’hôtel des Palmes quand cette idée se formula chez Pierre avec cette implacable netteté. Il se répéta cette question, tandis qu’il suivait du regard Olivier et sa femme qui entraient dans le vestibule. Ils allaient, causant d’ordres à donner pour les bagages et pour la femme de chambre. Leur pas était si différent, si peu associé, que cela seul révélait une probabilité de divorce secret entre ces deux êtres. C’est dans des minuties pareilles, et par l’instinctive fusion, par l’emboîtement des gestes de l’un dans les