Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/258

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et la première idée d’Olivier avait été de chercher ailleurs deux chambres séparées. Il ne dormait pas dans le même lit que sa femme, et ils étaient mariés depuis six mois à peine. Devant ce petit fait, qui venait s’ajouter aux autres remarques et compléter ses involontaires intuitions, Hautefeuille tomba dans une profonde rêverie. De nouveau une comparaison s’établit dans sa pensée entre les joies passionnées de son mystérieux roman et les étranges froideurs de ce jeune ménage… Il se rappela sa première nuit d’amour réel, passée dans l’adorable intimité de cette couche étroite de navire, d’où il lui avait été si dur de se lever… Il se rappela sa seconde nuit, celle qu’ils avaient, Ely et lui, goûtée à Gênes, et comme il lui avait été doux de s’endormir un peu de temps la tête appuyée contre le sein de sa maîtresse… Il se rappela que l’avant-veille, sur ses supplications, Ely avait consenti à le recevoir vers minuit, dans sa chambre de la villa Helmholtz, — comment il s’était glissé dans le jardin par un talus que garantissait une simple haie, pour arriver jusqu’à la serre, — comment il avait trouvé la porte ouverte et sa maîtresse qui l’attendait là. Elle l’avait conduit jusqu’à sa chambre par un escalier tournant qui partait du petit salon et qui ne servait qu’à elle. Quels frémissants baisers ils avaient échangés alors dans cette double et toute-puissante émotion de l’amour et du danger ! Cette fois, quand il avait dû partir de ce lit et de cette chambre, c’avait été un désespoir, un arrachement,