Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/267

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une seule, entends-tu, que je voudrais revivre, pas un bonheur, pas une noblesse, pas une plénitude ! À qui la faute ? Aux femmes que j’ai rencontrées ou à moi-même ? À leur coquinerie ou à mon indigence de cœur ? »

— « On n’a pas le cœur indigent, » interrompit Hautefeuille avec non moins de vivacité, « quand on est l’ami que tu as été pour moi… »

— « Je suis cet ami pour toi parce que tu es toi, mon Pierre, » répondit Olivier avec l’accent des sincérités absolues. « Et puis, les sens n’ont pas de place dans l’amitié, ils en ont une immense dans l’amour, et mes sens à moi sont cruels. J’ai toujours eu le désir mauvais, la volupté méchante, et je ne sais quel levain de férocité a frémi au plus intime de mon être, chaque fois que la chair a été remuée en moi profondément. Je ne justifie pas cela, je ne l’explique pas. C’est ainsi, et toutes mes liaisons, depuis la première jusqu’à la dernière, ont été empoisonnées par cet étrange ferment de haine. » Il insista : « Jusqu’à la dernière… La dernière surtout ! … C’était à Rome, il y a deux ans. Si j’ai jamais cru que j’aimerais, c’est cette fois-là. J’avais rencontré, dans cette ville unique, une femme unique elle-même, si différente des autres, avec tant de courage dans l’esprit, tant de grâce dans le cœur, sans une petitesse, sans une mesquinerie, et belle, si belle ! … Et puis nos orgueils se sont blessés l’un l’autre. Elle avait eu des amants avant moi, un au moins : un Russe, tué sous Plewna. Je le savais. Cette jalousie