Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/268

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insensée, injuste, inexprimable, la jalousie pour un mort, a commencé de me rendre cruel envers cette malheureuse avant le premier rendez-vous… Je l’ai brutalisée. Elle était fière et coquette. Elle s’est vengée. Elle a pris un autre amant sans me quitter, — ou je l’ai cru, ce qui revient au même… Enfin elle m’a fait horriblement mal, si mal qu’après des semaines et des semaines de disputes et de réconciliations je l’ai quittée, moi, le premier, un jour, brusquement, sans adieu, en me jurant de ne plus jamais chercher d’émotions sur ces chemins-là… J’étais au milieu de ma vie. Des expériences sentimentales que j’avais traversées, il me restait une telle usure, une telle courbature intérieure, si je peux dire, j’en avais tellement assez de ma vie que je pris la résolution de la changer, comme cela, pour n’importe quelle autre, avec l’idée que rien ne serait, ne pourrait être pire… Il y a des mariages de raison, de sentiment, de convenance, d’intérêt. J’ai fait, moi, un mariage de lassitude… J’imagine que l’espèce n’est pas très rare. Il est plus rare qu’on se l’avoue, et moi, je me l’avoue. Je n’ai jamais eu qu’une originalité : celle de n’être pas hypocrite avec moi-même. J’espère mourir sans l’avoir perdue… Voilà mon histoire. »

— « Mais tu paraissais aimer ta fiancée, cependant ? » interrogea Pierre, « Et si tu ne l’avais pas aimée, ou cru l’aimer, toi, l’honnête homme que je connais, tu n’aurais pas voulu prendre sa vie… »