Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/32

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noblement coupé. Un nez légèrement busqué et une bouche altière eussent donné à ce profil perdu une expression presque farouche, sans la douceur humide et tendre de la prunelle. Ce regard, d’une intensité de méditation singulière, dans un teint pâli et comme lassé, achevait d’imprimer à ce visage, qu’une moustache légère tachait de son ombre noire, une certaine ressemblance avec le portrait classique de Louis XIII encore jeune. Des épaules minces, des membres un peu aigus, la délicatesse apparente de tout le corps indiquaient chez lui un de ces organismes fragiles dont la force réside uniquement dans les nerfs, — une de ces physiologies sans résistance sanguine, dans lesquelles les moindres émotions morales retentissent trop vivement, jusqu’à ce petit point intime et blessé par où nous sentons, — une de ces natures de douleur qui s’usent par le sentiment comme les physiologies musculaires s’usent par l’action et la sensation. Quoique Pierre Hautefeuille ne se distinguât en rien, par sa tenue, de Corancez et des innombrables oisifs disséminés dans les salles, ou son regard était bien trompeur, ou il n’appartenait pas au même univers moral que ces chevaliers du smoking, du gilet blanc, des chaussettes en soie brodée et des escarpins vernis, qui tournaient autour des femmes du monde habillées comme des filles, des filles habillées comme les femmes du monde, et des tables à jeu envahies pêle-mêle par des gentlemen et des aigrefins. La rêverie empreinte dans le pli de ses lèvres