Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/37

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n’ont pas d’oreilles, ils ont des yeux… Mon amie, » soupira-t-il à mi-voix en prenant la petite main de Mme Bonaccorsi, qui s’était levée aussi, et en la serrant d’une étreinte passionnée, « je ne causerai plus vraiment avec vous avant le grand jour ; dites-moi un mot, un seul mot, que je l’emporte pour en vivre jusque-là… »

— « Que Dieu te garde, anima mia ! » dit Mme Bonaccorsi d’une voix grave, presque solennelle dans ce tutoiement, où se révélait toute la passion que l’adroit et félin personnage avait eu l’art d’éveiller en elle.

— « C’est écrit là, » répondit gaiement Corancez, qui montra sa main, « et là, » ajouta-t-il en mettant cette main sur son cœur.

Puis se tournant vers la jeune fille :

— « Miss Flossie, quand vous aurez besoin qu’un brave garçon aille au feu pour vous, un mot, et l’on y court right away… »

Et, tandis que miss Marsh riait de cette innocente épigramme sur l’un des petits idiotismes de la langue yankee, et que la marquise le suivait avec ce regard de la femme aimante dont le cœur s’en va dans chaque geste de l’homme aimé, le Provençal s’approchait de son ancien camarade. Il avait tant de grâce robuste dans ses mouvements, tant de souplesse virile, une si jolie et si mâle allure que la jeune Américaine ne put se retenir de le remarquer tout haut. Les filles de cette race énergique, chez lesquelles l’exercice occupe une telle place, ont toutes passé des heures en plein air