Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/54

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appliqué à une si jolie femme, je dirais : « Quel estomac ! » Elle continue… »

La jeune femme continuait, en effet, de distribuer son or et ses billets sur le même chiffre, sur les mêmes carrés, sur la même couleur, et il semblait que maintenant ni ce chiffre, ni ces carrés, ni la noire, ne dussent plus jamais sortir. Quelques coups encore, et les pièces de vingt ou de cent francs avaient disparu comme fondues au creuset, et, six par six, les billets étaient allés sous le râteau se joindre au tas empilé devant le croupier. Un quart d’heure s’était à peine passé depuis que Corancez et Hautefeuille avaient commencé de suivre cette partie, et la baronne Ely n’avait plus devant elle qu’une petite bourse d’or vide et une espèce de bijou barbare : un étui à cigarettes d’un travail russe, en or massif, tout incrusté de saphirs, de rubis et de diamants. La jeune femme prit cet étui dans sa main en le soupesant, tandis qu’un nouveau coup de roulette faisait sortir la rouge encore. C’était la onzième fois que cette couleur passait. Avec le même air indifférent, elle se tourna vers son voisin, un gros homme de cinquante ans peut-être, à tête carrée et à lunettes, qui avait abandonné un livre de calculs, pour jouer tout simplement contre elle. Il avait devant lui, maintenant, un monceau d’or et de billets.

— « Monsieur, » dit-elle en lui tendant l’étui, « voulez-vous me donner vingt-cinq louis de cette boîte ? … »

Elle avait parlé assez haut pour que Hautefeuille et Corancez